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Complexe mémoriel et Maison des mémoires Enjeux des mises en scène différenciées des mémoires de l’exil républicain espagnol en France

Anélie Prudor, doctorante en anthropologie. Membre scientifique de la Casa de Velázquez et de LISST-Centre d’anthropologie sociale (UT2J)

Dans le village de Septfonds (Tarn-et-Garonne), le territoire et les mémoires sont marqués par la présence du camp de Judes (1939-1945) dans lequel furent successivement enfermés divers groupes. De nos jours, l’histoire locale se mêle à l’histoire nationale et internationale à l’occasion des commémorations de la victoire alliée du 8 mai 1945. La cérémonie organisée par la mairie se déroule selon un parcours codifié, entre les « lieux de mémoires[1] » : camp de Judes, oratoire polonais, square hommage aux déportés juifs, cimetière des Espagnols. Mais cette manifestation révèle les discordes voire les ruptures entre les acteurs mémoriels locaux. De la concurrence des mémoires aux tensions entre certains militants associatifs et la municipalité septfontoise, les griefs sont nombreux.

Une enquête ethnographique permet de mettre en lumière les enjeux de ces mémorialisations divergentes. Il s’agit ici de revenir plus spécifiquement sur les mises en mémoire, depuis la France, de l’exil des républicains espagnols suite à la guerre d’Espagne (1936-1939) et de leur passage à Septfonds. Dans un premier temps, nous présenterons les lieux de mémoires locaux afin de mieux saisir la complexité de cet espace. Partant de cette connaissance du terrain, l’exemple des commémorations de 2017 mettra en lumière les ruptures entre la mairie et les associations. Dans un second temps, nous nous intéresserons à deux projets patrimoniaux aux légitimités diverses et aux objectifs singuliers. Le Complexe mémoriel et la Maison des mémoires traduisent les volontés distinctes de leurs promoteurs. Ces protagonistes, leurs actions et leurs discours nous permettront de mieux saisir les modalités différenciées de mise en récit d’un même événement et les cadres d’interprétation qu’ils proposent : une lutte antifasciste dépassant les frontières spatiales et temporelles d’une part et une universalisation d’un « plus jamais ça », qui participe à la valorisation du village, de l’autre. Examiner ces deux mises en récit de l’histoire locale et les conséquences mémorielles qu’ils induisent, permet de questionner le lien entre les mémoires et les contextes socio-politiques actuels, en France et en Espagne.*

                   I.            Les célébrations du 8 mai 1945

Le 12 novembre 1938, le gouvernement Daladier, confronté à un accroissement des tensions internationales qui débordent sur le territoire français, autorise par décret-loi « l’internement préventif des étrangers susceptibles de nuire à l’ordre public dans des camps de concentration (l’expression, couramment utilisée, ne portait pas encore le stigmate des camps nazis). » (Keren, 2016 : 141-142). La guerre d’Espagne entraîne plusieurs vagues de migrations, dont la plus conséquente, entre la fin janvier et le début février 1939 (chute de la Catalogne), concerne entre 450 000 à 500 000 personnes.

Les camps français se multiplient[2]. À proximité du village de Septfonds, cinquante hectares sont dévolus à la construction du camp de Judes[3]. Du 5 au 12 mars 1939, environ 16 000 républicains espagnols sont conduits au « camp de concentration », selon le vocabulaire de l’époque[4], entouré de fils barbelés et gardé par des militaires. Les wagons transportant les exilés sont arrêtés en gare de Borredon, à 6,5 kilomètres de l’entrée, qu’ils doivent rejoindre à pied. Le camp reste en fonctionnement jusqu’en 1945, changeant plusieurs fois de statut, selon le contexte politique français. Les groupes d’internés se succèdent, « Espagnols […] et Juifs […] ont marqué les lieux de leur présence, mais engagés volontaires étrangers, armée polonaise en France, résistants et collaborateurs ont, tour à tour, ensemble ou séparément, occupé les diverses baraques de ce camp » (Zorzin, 2000 : 10).

Chacun a laissé son empreinte dans cet espace. Aujourd’hui, diverses associations entretiennent localement des « lieux de mémoires », construits à partir des années 1970[5]. C’est au travers du parcours réalisé habituellement lors des commémorations du 8 mai 1945 que nous allons découvrir ces lieux, leurs monuments et les acteurs qui y officient.

1.      Les lieux de mémoires de Septfonds

Les participants se rassemblent au matin sur la place de la mairie, parmi eux, les représentants de l’Association consistoriale israélite de Montauban, de deux associations polonaises[6] et plusieurs associations espagnoles. Iberia Cultura se consacre à la diffusion de la langue et de la culture espagnoles. Mémoire de l’Espagne républicaine du Tarn-et-Garonne (MER 82) et le Centre d’investigation et d’interprétation de la mémoire de l’Espagne républicaine (CIIMER) affichent leur attachement aux mémoires de la guerre. Présence de Manuel Azaña, association montalbanaise dont le bureau est constitué de plusieurs historiens universitaires, est représentée mais ne participe pas activement.

La manifestation débute par les discours officiels et les dépôts de gerbes devant le monument aux morts du village. Ensuite, le collectif se rend à l’emplacement du camp pour réaliser une offrande florale devant le Mémorial du camp de Judes, inauguré par la mairie le 8 mai 1996. Là, la Stèle du souvenir énumère les groupes qui y sont passés entre 1939 et 1944 : « Armée républicaine espagnole, Armée polonaise, Internés politiques, Internés et déportés juifs, Hommes femmes enfants. Que le souvenir demeure à jamais. Passant n’oublie pas ». Deux ans plus tard, le 8 mai 1998, deux plaques explicatives ont été installées par la mairie dans le but de renforcer le dispositif mémoriel de ce lieu[7].

Par la suite, l’ensemble des participants rejoint des espaces mémoriels plus spécifiques. L’oratoire des polonais est l’occasion d’un moment de recueillement qui prend certaines années la forme d’une messe. Ce lieu de culte, édifié en 1941 par des aviateurs de l’Armée polonaise en France durant leur captivité, a été rénové par la municipalité et inauguré le 8 mai 1995. Le parcours se poursuit au centre du village, où le rabbin prononce une prière devant la plaque hommage aux 295 Juifs déportés à Drancy puis à Auschwitz (inaugurée le 8 mai 1990), placée dans le square Henry Grau (du nom du plus jeune déporté depuis Septfonds, inauguré le 8 mai 1998). C’est là que sont nommés les 26 enfants déportés.

À 16 heures, au cimetière des Espagnol se déroule une dernière célébration, avec une lecture des noms des 81 républicains espagnols morts dans le camp. Certaines années, l’Himno de Riego[8], est chanté par les militants associatifs. Ce dernier espace est laissé à l’abandon jusqu’au début des années 1970. À cette date, un habitant du village, Cesáreo Bustos Delgado (républicain espagnol, déporté à Mauthausen) entreprend de le réhabiliter. Le 8 octobre 1978, la Fédération nationale des déportés et internés résistant patriotes (FNDIRP[9]), grâce à une souscription populaire et à l’appui de la municipalité, inaugure un monolithe constitué de « neuf blocs de pierre superposés en souvenir des neuf principaux camps d’‘internement’ en France » (Vidal Castaño, 2013 : 68). À partir du 8 mai 1979, une partie des célébrations se déroule en ce lieu. Le 8 mai 1998, à l’occasion du jumelage de Septfonds avec Guernica[10], une plaque est apposée au bas du monument, dont l’essentiel est résumé en ces quelques phrases :

« Ce monument est le symbole de la solidarité Franco-Espagnole. Il a été édifié pour honorer la mémoire des 81 Combattants Républicains Espagnols, morts durant leur internement au camp de Judes, 1939-1940, à Septfonds.

Plus que la défaite, ils ont subi l’épreuve du rejet derrière les barbelés, sans savoir, au fond, de quoi ils étaient coupables.

[…]

Souvenez-vous. »

Les espaces présentés sont devenus des lieux de mémoires du fait des actions de la municipalité et des activités de plusieurs associations. Depuis plusieurs années, les cérémonies du 8 mai 1945 apparaissent comme un moment important dans la concurrence mémorielle qui existe dans le périmètre de Septfonds. Les cérémonies de 2012 et 2014 ont par exemple été marquées par des prises de positions assez virulentes. Mais la commémoration de 2017 marque une scission entre deux regroupements de descendants de républicains espagnols et la municipalité.

2.      Le 8 mai 2017, des tensions

Acteurs mémoriels, associatifs et institutionnels, s’opposent sur plusieurs points et en particulier sur la possibilité pour les participants d’arborer le drapeau républicain espagnol au monument aux morts ou de chanter le répertoire associé à la période au cimetière des Espagnols. Ces tensions s’ancrent, de manière sous-jacente, dans deux volontés de mise en récit des mémoires qui ne revêtent pas les mêmes objectifs. En effet, ici comme ailleurs, « les discours de la mémoire forment […] une immense cacophonie, pleine de bruit, de clameurs et de controverses. Où que l’on se tourne, un passé commémoré ou haï, célébré ou occulté, raconté, transformé, voire inventé, est saisi dans les mailles du présent » (Robin, 2007 : 395).

Les événements du 8 mai 2017 ne dérogent pas à cette interprétation tant ils soulignent les conséquences et les causes de cette cacophonie. À 11 heures, sur la place de la mairie de Septfonds, une centaine de personnes est rassemblée autour du monument aux morts afin de commémorer « la victoire de la démocratie, des valeurs universelles de la liberté et de la dignité humaine » (Message du secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense, chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, lu le 8 mai 2017). Aux côtés des drapeaux français, plusieurs drapeaux républicains espagnols (rouge, jaune, mauve) et deux drapeaux polonais sont visibles.

Chose plus surprenante, les membres du CIIMER et/ou de MER 82 lèvent des pancartes où est reproduit le tableau Guernica de Picasso, encadré d’un court texte :

« 26 avril 1937, Guernica, 80e anniversaire.

8 mai 1998, jumelage Septfonds-Guernica, 19e anniversaire.

Solidarité pour la liberté »

Les militants de l’association, s’ils sont présents au monument aux morts et à la cérémonie qui se tient au camp de Judes, sont en revanche absents durant les autres étapes, montrant par là leur désapprobation à l’égard de certaines initiatives. Ils quittent en effet le cortège pour se rendre directement au cimetière, ainsi qu’ils l’ont annoncé quelques jours plus tôt dans une lettre ouverte adressée au maire, largement diffusée et intitulée « Contre l’ostracisme, vive la Liberté » :

« Parole interdite, mémoires tronquées, associations méprisées, c’est indigne de Septfonds. Ce 8 mai 2017, nous célèbrerons les idéaux de Liberté de ceux qui furent relégués au camp de concentration de Judes. Nous saluerons la mémoire des anciens prisonniers et maires de Septfonds qui ont préservé et réhabilité les vestiges du camp. Puis agi ensemble pour décider en 1998 le significatif jumelage de Septfonds avec Guernica (martyrisée le 26 avril 1937), actuellement réduit à la portion congrue : l’ostracisme appauvrit toujours la pensée et l’action. » (lettre ouverte au maire de Septfonds, le 4 mai 2017)

Lorsque le cortège officiel arrive au cimetière des Espagnols, les participants découvrent que les membres du CIIMER ont déposé des œillets sur chaque tombe et une couronne au pied du monolithe. Sur celui-ci, ils ont également fixé une « pancarte Guernica ».

La lettre ouverte donne quelques explications sur les raisons de cette division. Les militants déplorent qu’à l’instar de leurs homologues, ils ne puissent prendre part à l’organisation de la cérémonie : « nous avons chaque fois regretté une inadmissible différence de traitement lors de la cérémonie concernant les Espagnols » (Ibid.). Toutefois, un autre argument apparaît en filigrane : « Au cimetière des Espagnols où 81 d’entre eux reposent parce que c’est là qu’ils furent injustement enfermés en tant que Républicains réfugiés » (Ibid.). Par cette phrase, l’accent est mis sur le positionnement de la Troisième République française à l’égard des civils et des combattants antifascistes espagnols en 1939 et la création de « camps de concentration », parmi lesquels celui de Judes. L’utilisation de l’expression « camp d’internement » par les institutions (mairie de Septfonds mais aussi Mémorial du camp de Rivesaltes[11], etc.) est qualifiée de révisionnisme par les militants. Afin de respecter et de faire respecter le récit des témoins dont ils s’estiment les dépositaires et les héritiers, ils s’engagent dans une véritable lutte. Ils ont à de nombreuses reprises dénoncé ce terme dans la presse locale et nationale, lors de conférences, dans des lettres ouvertes adressées à des historiens universitaires, etc.

Si la question de la concurrence des mémoires ne peut être ignorée, ce sont ici les relations entre la mairie et MER 82 / CIIMER qui incitent à questionner plus particulièrement les velléités de transmissions et les mises en récits de ces mémoires. Car depuis une dizaine d’année, ces associations, se réapproprient les mémoires du camp et du cimetière tout en s’implantant dans un nouveau lieu : la gare de Borredon. En (ré)investissant ces espaces, ils proposent une mise en récit des événements qui concurrence celle portée par la mairie lors des 8 mai et au sein d’un espace muséographique nouveau, la Maison des mémoires. Quelles sont les activités, les revendications et les positionnements de ces acteurs ? Quels récits proposent-ils à l’échelle locale et comment s’insèrent-ils dans des logiques mémorielles plus larges, transfrontalières ou nationales ?

                II.            Des acteurs, des projets et des récits

1.      De la gare de Borredon au Complexe mémoriel

En 2006, à Montauban est fondée par des descendants d’exilés républicains espagnols l’association Mémoire de l’Espagne républicaine du Tarn-et-Garonne (MER 82). Déclarée au Journal officiel en mars 2007, ses objectifs sont de :

« Faire vivre en Tarn-et-Garonne la mémoire des républicains espagnols ; faire connaître leur contribution à la lutte antifasciste ; conserver et transmettre la mémoire de la Retirada et des camps de concentration ; découvrir et/ou se réapproprier les lieux de mémoire ; soutenir les actions menées en Espagne pour récupérer la mémoire historique ; porter attention à la réécriture et aux révisions falsificatrices. » (Texte extrait de l’exposition rétrospective, 10e Assemblée générale de MER 82[12], le 4 mars 2017)

Parmi ses manifestations emblématiques figure une marche mémorielle annuelle organisée le samedi situé entre le 5 et le 12 mars, semaine de l’arrivée des premiers convois en 1939. Les participants entendent se glisser dans les pas des républicains espagnols, en effectuant le trajet que ces derniers ont emprunté entre la gare et le camp. C’est lors de la troisième édition de cette marche que les militants apprennent la mise en vente de la gare et lancent une souscription populaire. L’achat est conclu en 2011 et, après plusieurs mois de travaux, la gare est inaugurée le 7 avril 2012.

Dans l’intervalle, le 1er octobre 2011, elle devient le siège d’un regroupement d’associations (48 au 12 mars 2017, Comité de pilotage du CIIMER) françaises et espagnoles auxquelles s’ajoutent une belge et une marocaine : le Centre d’investigation et d’interprétation de la mémoire de l’Espagne républicaine. Les membres souhaitent créer un Complexe mémoriel, selon leur expression, constitué de la gare, du camp, du cimetière[13] et de la tombe de Manuel Azaña, située non loin de là, à Montauban[14]. Leur objectif est de remettre en avant la mémoire des espagnols républicains exilés en Tarn-et-Garonne « au service de l’histoire de leurs combats et de leurs idéaux » (dépliant du CIIMER). En ce sens, les militants insistent sur leur statut d’héritiers qui les inscrit dans une forme de continuité du combat de leurs aïeux. Ils valorisent leur fidélité aux récits des témoins et la véracité des mémoires dont ils sont les porteurs.

En incluant la guerre d’Espagne, la Retirada, les camps français et les déportations en Allemagne ou encore la participation d’une partie des exilés républicains à la résistance et à la libération de la France, ils construisent un récit centré sur l’antifascisme européen ; ils inscrivent cette mémoire dans des bornes chronologiques de la guerre élargies, allant de 1936 à 1945. Elle permet d’activer un réseau transfrontalier entre des associations[15] qui individuellement se concentrent sur des épisodes précis à l’échelle locale (combats ou fosses communes en Espagne, lieux de l’exil ou de la résistance en France). L’implication du CIIMER / MER 82 dans les commémorations du 8 mai 1945 est justifiée par cette continuité : « Pour les Espagnols républicains qui l’avaient combattu [le fascisme européen] les armes à la main dès 1936 – tout au moins pour ceux qui avaient survécu à 9 ans de guerre – le 8 mai 1945 fut un jour de joie et d’espoir ». (Lettre ouverte au maire de Septfonds, op. cit.)

Ces militants mémoriels ne sont pas seulement tournés vers le passé, ils proposent une interprétation de l’histoire au regard des mémoires dont ils sont les héritiers. Les relations qu’entretiennent MER 82 / CIIMER avec la mairie de Septfonds, porteuse d’un autre récit mémoriel, sont directement impactées. Ce récit municipal est diffusé durant les commémorations du 8 mai 1945 mais également au sein de la Maison des mémoires dont les portes-ouvertes[16] se sont déroulées le 6 mai 2017. Cette concurrence permet d’interroger les écritures d’une histoire locale au prisme d’enjeux politiques et mémoriels bien plus contemporains.

2.      La Maison des mémoires, un projet municipal

La « Maison et Promenades des mémoires de Septfonds » (dénomination du Dossier de presse), est un projet municipal né en 2013 qui bénéficie du soutien de l’État, de l’Europe, de l’Occitanie, du Tarn-et-Garonne et du Pays Midi-Quercy. L’objectif est de « reconstituer une grande part de [l’]histoire des XIXe et XXe siècles » (Ibid.), dans une bâtisse, ancienne chapellerie de Raymond Peyrières, localisée la rue des Déportés. L’ancien propriétaire de la maison, résistant communiste, a été arrêté pour ses idées politiques, déporté, il est mort à Buchenwald.

Cet espace muséographique, combiné à deux parcours pédestres, présente l’activité chapelière septfontoise, le pionnier de l’aviation Dieudonné Costes (originaire du village) et le camp de Judes. Ainsi, industrie, personnalités locales et histoire de la Seconde Guerre mondiale se détachent de la trame des événements politiques nationaux et internationaux pour être présenté aux visiteurs. Cette mise en relation de ces différentes périodes est justifiée par « la thématique du déplacement de populations, des valeurs d’accueil et d’hospitalité » (Tract de la Maison des mémoires), qui permettent :

« [d’]observer comment de l’activité chapelière au XIXe siècle a façonné l’architecture du village et comment la présence du Camp de Judes, ouvert en 1939 pour l’accueil des réfugiés espagnols de la Retirada, a fait de Septfonds un haut lieu de mémoire des conflits de la Seconde Guerre mondiale. Partez à la rencontre des personnalités locales, dont l’aviateur Dieudonné Costes, qui participent à la mémoire de Septfonds. » (Ibid.)

Le 6 mai 2017, à 10 heures, la visite de la Maison des mémoires débute et des parcours pédestres commentés par des bénévoles sont proposés. Sous des barnums, les membres de l’association La Paillole (qui conserve la méthode de fabrication de chapeaux de paille) font des démonstrations de tressage. Aucun représentant de MER 82 ou du CIIMER n’est présent ; ce n’est que dans l’après-midi qu’un petit groupe viendra visiter le lieu, distribuer des tracts du CIIMER et déplorer de n’avoir pas reçu d’invitation formelle, ce que le maire dément.

Au-delà de cette incursion, ils reprochent à la municipalité de n’avoir pas fait référence au jumelage Septfonds-Guernica dans la Maison des mémoires ou lors de la cérémonie du 8 mai. S’ils le soulignent volontiers dans nos échanges oraux, un mail intitulé « Il est temps que cela cesse !! » diffuse l’information au-delà de la frontière pyrénéenne :

« Alors que Septfonds est jumelée avec Guernica depuis le 8 mai 1998 (grâce à nos anciens et grâce au maire d’alors, lui-même fils d’officier allemand antinazi), le maire actuel n’a pas eu un mot ce 8 mai 2017 pour évoquer Guernica. Rappelons que 2017 correspond au 80e anniversaire du bombardement. » (Le 17 mai 2017)

Rappeler les bombardements de Guernica par l’aviation hitlérienne et mussolinienne, permet aux militants de réinsuffler l’antifascisme dont ils sont les héritiers et les continuateurs. Ce faisant, ils réinscrivent ces luttes, présentes et passées, dans une mémoire politisée. L’évocation des liens existants entre la France et l’Espagne, entre Septfonds et Guernica, dont le maire ne se saisit pas, leur laisse la possibilité de réinvestir un peu plus l’aspect transfrontalier dont ils sont les constructeurs et les moteurs. Enfin, ce jumelage, passé sous silence, leur offre l’opportunité de légitimer leurs luttes à l’échelle locale.

Sur les murs du patio menant à l’entrée de la Maison des mémoires, sont inscrits les mots « hospitalité, mémoire, exil, migration, échange, solidarité, refuge[17] », également traduits en anglais et espagnols. La mise en récit officielle de l’histoire du camp se dessine et elle semble s’appuyer sur d’autres ressors que celle des descendants. Ces mots et « la thématique du déplacement de populations, des valeurs d’accueil et d’hospitalité » (Tract, op. cit.) ne laissent pas les militants indifférents. Lors d’une discussion informelle, l’un d’entre eux me fait remarquer qu’en incluant aux mémoires locales celle du camp de concentration, il aurait été plus judicieux que la municipalité ne fasse pas référence à l’« hospitalité ».

Les portes-ouvertes se déroulent la veille du second tour des élections présidentielles françaises, qui oppose Marine le Pen (Front National) à Emmanuel Macron (En Marche). Cette concordance des dates incite les orateurs, représentants des institutions partenaires, à concentrer leurs discours sur le camp, dans une parole promouvant la démocratie. Le maire souligne que l’objectif de ce lieu est « de sauvegarder mais surtout de transmettre l’histoire locale aux jeunes générations, afin de ne pas [la] répéter » (Discours officiel, le 6 mai 2017). Le représentant du Tarn-et-Garonne évoque l’engagement de la municipalité de Septfonds : « Pour nous, pour nos enfants, petits-enfants, pour qu’ils ne soient pas à leur tour obligés de s’exiler » (Ibid.). Quelques minutes plus tard, le représentant de la région Occitanie souligne qu’il s’agit d’un « moment d’histoire qu’on ne veut plus voir et dont il faut se souvenir. Parce que le temps fait malheureusement son œuvre. Nous le voyons bien avec la banalisation d’un certain nombre de propos et la période [y] est propice » (Ibid.).

L’histoire locale prend une valeur d’exemple et les mémoires doivent servir la transmission aux citoyens de demain dans un objectif de « plus jamais ça ». Si l’antifascisme du combat des républicains est rappelé, il s’agit d’en « universaliser » la part mémorielle, de la dépolitiser, tout en en valorisant l’échelle locale comme en témoignent les notions d’hospitalité ou de refuge.

À Septfonds, depuis une dizaine d’années, les acteurs mémoriels œuvrent à des mises en récits distinctes de l’arrivée et de l’accueil des républicains espagnols. Ils proposent deux mises en récit de l’événement (musées, lieux de mémoires, commémorations qui y sont liées) dont la rencontre ne va pas sans frictions entre les porteurs de projets.


[1] Expression attribuée à Pierre Nora (voir Nora, 1984). Le choix de mettre ici le terme mémoires au pluriel permet d’insister la variabilité de ce mot, voir Lavabre, 2000.

[2] Sur le thème des camps français, voir Peschanski, 2002. Sur l’exil espagnol en France, voir Témime et Dreyfus-Armand, 1994.

[3] Amalric, 2005.

[4] Le terme de camp d’internement, aujourd’hui favorisé au regard de l’expérience nazie, est décrié par les militants associatifs de ce terrain qui souhaitent que ce qualificatif initial soit réhabilité.

[5] Pour sur la chronologie de la construction des divers lieux, les acteurs et les tensions, voir Zorzin, 2000.

[6] Association des anciens combattants polonais en France et Polonia 82.

[7] Sur les tensions concernant la mise en mémoire du camp, voir Zorzin, op. cit. : 68-77.

[8] Hymne de la Seconde République espagnole.

[9] Pour en savoir plus, voir le site internet de l’association http://www.fndirp.asso.fr/.

[10] Guernica, ville du pays-basque espagnol, bombardée le 26 avril 1937 par les avions de l’Allemagne nazie et de l’Italie mussolinienne, en soutien des franquistes.

[11] Dont l’inauguration en octobre 2015 a donné lieu à une controverse, toujours en cours, entre certaines associations de descendants de républicains espagnols et le conseil scientifique du Mémorial.

[12] Texte intégral : http://www.mer82.eu/crbst_5.html.

[13] Inscrits au patrimoine culturel immatériel français (arrêté du 9 septembre 2011).

[14] Dernier président de la Seconde République espagnole, mort en exil à Montauban le 3 novembre 1940. Voir, entre autres, Juliá, 2008.

[15] Il ne sera pas question dans cet article des tensions entre associations liées aux héritages politiques.

[16] Le maire refuse de parler d’inauguration.

[17] En référence à un lieu d’accueil destiné aux femmes et enfants de l’exil républicain espagnol, au centre du village.


Bibliographie

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NORA, Pierre 1984. « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux », in NORA, Pierre (dir.). Les lieux de mémoire (tome 1). La république, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque illustrée des histoires, p. XVII-XLII.

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JULIá, Santos 2008. Vida y tiempo de Manuel Azaña, 1880-1940, Madrid, Taurus, coll. Memorias y biografías.

LAVABRE, Marie-Claire 2000. « Usages et mésusages de la notion de mémoire », Critique internationale, n° 7, p. 48-57.

ROBIN, Régine 2007. « Un passé d’où l’expérience s’est retirée », Ethnologie française « Mémoires plurielles, mémoires en conflit », p. 395-400.

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ZORZIN, Sylvain 2000. Le camp de Septfonds (Tarn-et- Garonne) : Soixante ans d’histoire et de mémoires (1939-1999), Bordeaux, Institut d’études politiques, Mémoire de recherche sous la direction de Jean Petaux.

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